Questions sur la fiche d’intervention de la police suite au décès de Nahel : le débat sur la version des policiers relancé.

Plainte pour faux en écriture déposée par l’avocat de la famille suite à la découverte contradictoire entre la fiche d’intervention de la police, datée du jour des événements, et une vidéo amateur diffusée sur les réseaux sociaux peu après.

La version des faits selon la fiche d’intervention de la police, consultée par nos confrères de franceinfo, indique clairement : “Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire.” Cela concerne le contrôle routier tragique qui a coûté la vie à Nahel, un adolescent de 17 ans, lorsqu’un policier l’a abattu le matin du 27 juin à Nanterre. Cependant, les images de la scène capturées par une témoin et diffusées sur les réseaux sociaux peu de temps après les événements contredisent cette version.

Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille de Nahel, a déposé une plainte pour “faux en écriture publique”, soulignant que cette fiche est un document rédigé par un policier qui déclare mensongèrement que Nahel a tenté de percuter un policier en lui fonçant dessus. L’avocat explique que cette fiche a été remplie sur la base des informations fournies par les policiers qui ont tenté d’interpeller Nahel, mais c’est un autre policier qui l’a rédigée. Yassine Bouzrou souligne que les policiers qui ont fourni ces fausses informations sont parfaitement conscients qu’une fiche sera remplie en se basant sur leurs déclarations. Cette fiche et son contenu suscitent ainsi plusieurs interrogations au cœur de cette affaire.

En remettant en question la véracité de la fiche d’intervention de la police, cette affaire soulève des doutes quant à la version officielle des événements et met en lumière la nécessité d’une enquête approfondie pour établir les faits avec précision.

La fiche d’intervention en question a été rédigée sur la plateforme interne de la police appelée Pégase.

Selon les informations rapportées par H24, cette fiche a été créée le mardi 27 juin à 8h16. Pégase est un logiciel développé dans le but d’améliorer la gestion des appels d’urgence vers la “police secours” et de réduire les délais d’intervention des équipes de police grâce à la géolocalisation des véhicules. Son existence est officialisée par un arrêté datant du 21 janvier 2008.

Une version plus récente de ce logiciel, mise en place en 2016, a été progressivement déployée à partir de mai 2022. Cette nouvelle version englobe la retranscription des appels provenant de citoyens vers le numéro d’urgence 17, ainsi que les informations transmises par les policiers via les ondes radios. Il facilite également les échanges en mobilité avec les effectifs sur le terrain, comme l’explique la police nationale à H24.

Le logiciel Pégase a pour objectif de conserver une trace écrite des interventions à travers des fiches d’intervention. Ces fiches permettent de relater le déroulement d’une intervention, en fournissant un résumé et une synthèse des événements. Cependant, il est important de souligner que ces fiches d’intervention ne constituent ni des procès-verbaux, ni des actes judiciaires. Elles sont plutôt considérées comme des outils opérationnels, comparables à des “mains courantes”, utilisés par les services de police pour documenter les événements survenus lors des interventions.

Une fiche récapitulative

La fiche d’intervention mentionne plusieurs éléments relatifs à l’incident impliquant la mort de Nahel. Selon cette fiche, rédigée par le policier de la station directrice des Hauts-de-Seine, les informations transmises par son collègue sur le terrain ont été retranscrites comme suit :

  • À 8h19, il est noté qu’un coup de feu a été tiré et que le véhicule s’est encastré dans un poteau.
  • À 8h21, il est indiqué que le conducteur est inconscient.
  • Une minute plus tard, à 8h22, la mention suivante est ajoutée : “individu blessé par balle à la poitrine côté gauche. Le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper. Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire”.
  • La fiche précise également qu’un passager à l’arrière du véhicule a été interpellé, tandis qu’un individu est en fuite.

Par la suite, la fiche indique que le procureur de la République et son adjoint se sont rendus sur les lieux à 9h35, et à la même heure, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie. À 10h11, des précisions sur les faits récemment survenus sont ajoutées, faisant à nouveau référence à la situation où “le moteur coupé est rallumé et le conducteur fonce sur le fonctionnaire de police qui fait usage de son arme”.

Là encore des versions différentes

La version du policier suspecté d’avoir causé la mort de Nahel diffère de celle indiquée dans la fiche d’intervention. Son avocat, Laurent-Franck Liénard, maintient que son client n’a jamais écrit cette phrase incriminante. Selon lui, il n’y a pas de “faux en écriture publique” car il n’y a pas eu d’écriture de la part de son client. Dans une interview sur BFMTV, deux jours après les faits, l’avocat déclare : “Mon client a tiré, il a été amené aux locaux de l’IGPN. Il a été entendu, il n’a jamais rien écrit, donc le procès-verbal, il n’y en a pas.”

Le réquisitoire du parquet général de la cour d’appel de Versailles, consulté par franceinfo, contient une synthèse des premières auditions du policier réalisées par l’IGPN. Selon ce document, le policier affirme s’être “retrouvé acculé contre le trottoir et le muret situé derrière lui”. Il explique ensuite avoir pris “la décision d’ouvrir le feu pour éviter que le conducteur ne renverse quelqu’un ou n’embarque son collègue, alors qu’il avait lui-même été un peu poussé lorsque le conducteur avait accéléré”.

Le document mentionne également les premiers éléments d’analyse de l’IGPN, qui indiquent que lors des échanges entre le policier mis en examen pour “homicide volontaire” et le policier de la station directrice, il n’a pas utilisé la phrase suivante : “Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire.” Ces conclusions sont basées sur l’exploitation des conversations tenues sur la “conférence 32” des services de police.

Les raisons de la plainte déposée par l’avocat de la famille de Nahel

L’avocat de la famille de Nahel a décidé de porter plainte suite aux témoignages contradictoires sur les circonstances de la mort du jeune homme. Les deux passagers présents dans la voiture au moment des faits ont affirmé que Nahel n’a pas foncé sur le policier, contredisant ainsi la version de la fiche d’intervention de la police.

Le passager assis à côté de Nahel, interrogé par les enquêteurs de l’IGPN, a rapporté que son ami avait été frappé à plusieurs reprises avec la crosse des policiers. Selon lui, après le troisième coup, le pied de Nahel aurait involontairement enfoncé l’accélérateur. Il décrit également l’état agonisant de Nahel, qui tremblait.

De son côté, le passager arrière, un adolescent de 14 ans, a écrit une lettre au Parisien dans laquelle il relate que l’un des policiers aurait proféré des menaces de tir à la tête de Nahel. Il affirme également que le pied de Nahel aurait lâché le frein par panique, essayant de se protéger. Les deux témoins soutiennent que la voiture, équipée d’une boîte automatique, a avancé d’elle-même par la suite.

Pour l’avocat de la famille de Nahel, l’erreur dans la fiche d’intervention rédigée par un fonctionnaire de police semble peu plausible. Selon lui, cet agent est un professionnel et l’information selon laquelle un véhicule aurait tenté de percuter et de tuer un policier est d’une importance telle qu’elle ne devrait pas être sujette à des erreurs. La plainte pour faux en écriture publique sera examinée par le parquet de Nanterre, qui décidera des éventuelles suites judiciaires à donner.

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