Le terme « pesticide » englobe un large éventail de composés, tels que les insecticides, les fongicides, les herbicides, les rodenticides, les molluscicides, les nématicides, les régulateurs de croissance des plantes, et bien d’autres. Les premiers pesticides de synthèse sont apparus dans les années 40, ce qui a entraîné des résultats très positifs en termes d’augmentation des rendements agricoles. Cependant, seulement une vingtaine d’années plus tard, les premiers soupçons d’impacts négatifs sur l’environnement et la santé humaine ont été mis en évidence.
Depuis lors, de nombreuses recherches ont été entreprises pour déterminer les véritables impacts des pesticides sur l’environnement. Au fil des années, leur utilisation s’est tellement répandue qu’on estime désormais à 2,5 millions de tonnes la quantité de pesticides utilisés dans les cultures à travers le monde. Cependant, moins de 0,3 % de ces pesticides entrent effectivement en contact avec les parasites ciblés. Par conséquent, plus de 99,7 % de ces produits chimiques se dispersent dans l’environnement, causant de graves préjudices à la santé publique en contaminant les sols, l’eau et l’atmosphère de l’écosystème.
Évolution de la réglementation des pesticides
Au fil du temps, la réglementation des pesticides a connu des évolutions significatives, avec pour objectif de protéger la santé des consommateurs et de préserver l’environnement. Les premières interdictions de pesticides organochlorés ont été mises en place dans les années 70. En France, l’utilisation de pesticides est désormais soumise à l’approbation des autorités publiques. À la fin des années 80, environ un millier de substances étaient autorisées. Cependant, grâce à la directive européenne de 1993, ce nombre a considérablement diminué et nous recensons actuellement 423 substances autorisées.
Au cours des deux dernières décennies, l’Europe s’est progressivement dotée de législations visant à garantir la santé des consommateurs et à protéger l’environnement. Des normes de contamination ont été établies, tant pour l’eau potable que pour les résidus présents sur les produits alimentaires. Parallèlement, l’obtention d’autorisations de mise sur le marché est devenue obligatoire pour toute nouvelle substance potentiellement dangereuse. Plus récemment, des obligations concernant l’état écologique de divers environnements ont également été mises en place.
Par exemple, la Directive CEE 80-778 a fixé à 0,1 μg/l la teneur maximale de chaque pesticide dans l’eau potable, et à 0,5 μg/l au total. La Directive 91/414/CEE, entrée en vigueur en 1993, a renforcé les critères d’évaluation toxicologiques et éco-toxicologiques, ainsi que la procédure d’homologation des nouvelles substances, tout en programmant la réévaluation des anciennes.
De plus, des limites maximales de résidus propres à chaque aliment ont été définies afin de surveiller et de réguler les résidus de pesticides présents dans les denrées alimentaires.
Au cours des vingt dernières années, le déclin de la biodiversité en France et dans le monde a été largement documenté, et cette préoccupation a été renforcée par la publication du rapport 2019 de l’IPBES. La contamination environnementale par les pesticides est identifiée comme l’une des causes de cette situation. Ainsi, des politiques publiques ambitieuses ont été mises en place en France et en Europe pour réguler l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, c’est-à-dire les pesticides utilisés dans l’agriculture, les jardins, les espaces verts et les infrastructures, tout en encourageant les alternatives aux pesticides de synthèse. Cependant, malgré ces efforts, l’utilisation de ces substances demeure significative, avec 55 000 à 70 000 tonnes encore utilisées chaque année en France. Cette question concerne les pouvoirs publics, les agriculteurs, les associations de protection de l’environnement, les agences de l’eau, les scientifiques, les industriels et les citoyens, car elle a un impact sur notre environnement et notre alimentation.
Afin d’obtenir une évaluation actualisée des connaissances scientifiques, les ministères de l’Environnement, de l’Agriculture et de la Recherche ont demandé à l’INRAE et à l’Ifremer une expertise scientifique collective sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques. Cette démarche pluridisciplinaire et collective a mobilisé pendant deux ans 46 experts issus de 19 organismes de recherche, dont les résultats ont été présentés lors d’un colloque de restitution réunissant plus de 600 participants le 5 mai dernier.
Dispersion des pesticides dans l’environnement
Lors de l’épandage de pesticides, la pulvérisation liquide sur les plantes et/ou le sol entraîne une dispersion partielle du produit. Plusieurs facteurs techniques et environnementaux influencent cette répartition :
- Le stade de croissance des cultures,
- La cible à atteindre,
- La formulation du produit,
- La technique d’application,
- Les conditions météorologiques.
Des proportions variables du pesticide seront réparties sur le sol et le feuillage, tandis que le reste sera dispersé et entraîné par le vent, phénomène connu sous le nom de « dérive ».
L’épandage aérien de pesticides est la méthode la plus néfaste pour l’environnement. Le vent peut emporter jusqu’à la moitié du produit en dehors de la zone de traitement. Bien que la Directive européenne du 21 octobre 2009 (n° 2009/128/CE) interdise cette pratique, de nombreuses dérogations persistent, permettant encore des épandages aériens. Des chercheurs ont constaté des dépôts significatifs de pesticides jusqu’à 910 m de la zone pulvérisée sous des vents de 16 km/h.
Les autres techniques d’épandage au sol entraînent moins de dérive aérienne, mais même de légères pertes de produits toxiques peuvent avoir des conséquences dramatiques. Une fois qu’ils atteignent le sol, les pesticides se dégradent ou se dispersent. Les substances actives peuvent s’évaporer, s’écouler par ruissellement ou être lessivées, atteignant ainsi les eaux de surface ou les eaux souterraines.
La volatilisation est la principale cause de fuite des pesticides hors de la zone ciblée. Des pertes allant jusqu’à 80 à 90 % quelques jours après l’épandage ont été observées. Le ruissellement, quant à lui, entraîne en moyenne 2 % des pesticides appliqués sur le sol. Le ruissellement contribue à la pollution des eaux de surface, tandis que la lixiviation contribue principalement à la pollution des eaux souterraines.
Impact des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques
La pollution chimique, à laquelle les produits phytopharmaceutiques contribuent, est identifiée comme le troisième ou quatrième facteur de déclin de la biodiversité à l’échelle mondiale, après la destruction ou la modification des habitats naturels, l’exploitation des ressources et le changement climatique. Les effets des produits phytopharmaceutiques, principalement étudiés dans des contextes agricoles, sont majoritairement associés aux pesticides de synthèse et au cuivre, tandis que les connaissances sur les produits de biocontrôle restent limitées. Les produits de biocontrôle regroupent des macro-organismes tels que les insectes et les nématodes, des micro-organismes tels que les virus, les bactéries, les champignons et les levures, ainsi que des substances naturelles d’origine minérale, végétale ou animale, utilisés pour lutter contre les ravageurs des cultures.
Il est établi de manière solide que les produits phytopharmaceutiques sont l’une des principales causes du déclin des invertébrés terrestres, y compris les insectes pollinisateurs et les prédateurs de ravageurs tels que les coccinelles et les carabes, ainsi que des oiseaux. Les effets directs chez les oiseaux granivores sont dus à la toxicité des graines ingérées, tandis que les effets indirects chez les oiseaux insectivores sont principalement liés à la réduction du nombre d’insectes disponibles comme source de nourriture. Les organismes aquatiques sont également touchés, avec une diminution estimée de 40 % des populations de macroinvertébrés dans les cours d’eau agricoles les plus pollués. Les effets non létaux, à la fois directs et indirects, sur ces organismes terrestres et aquatiques sont importants, bien que cela ait été moins étudié il y a 15 ans. Ces effets peuvent se traduire par une perte d’orientation ou de capacité de vol chez les insectes et les oiseaux, une diminution de l’efficacité de la reproduction et des déficiences immunitaires, souvent liées à des perturbations du microbiote, qui est l’ensemble des microorganismes présents dans ces organismes. Certains produits phytopharmaceutiques ont également des effets sur le système endocrinien, bien que les conséquences sur les populations restent encore à évaluer, principalement chez les mammifères et les poissons.
Les produits phytopharmaceutiques sont également impliqués dans le déclin des amphibiens (25 % des populations menacées en Europe) et des chauves-souris. Au-delà de ces constats par type d’organismes, il est également important de noter leur rôle écologique. Les microorganismes, présents en abondance dans tous les milieux, sont particulièrement affectés dans les sols agricoles et les cours d’eau voisins contaminés par les produits phytopharmaceutiques, entraînant une diminution de leur capacité à dégrader la matière organique et à fournir des nutriments aux écosystèmes.
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