« La Belle et la Bête » de Jul : Une Réécriture Controversée Annulée par l’Éducation Nationale

L’Éducation nationale avait commandé 800 000 exemplaires d’une version modernisée de La Belle et la Bête, illustrée par le dessinateur Jul, pour l’opération Un livre pour les vacances, destinée aux élèves de CM2. Mais le 20 mars, la ministre Elisabeth Borne a annoncé l’annulation de cette commande, jugeant le livre « non adapté » sans accompagnement pédagogique. Jul, lui, dénonce une « censure » aux relents idéologiques.

Une réinterprétation ancrée dans le monde moderne

Basé sur la version de 1756 de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, l’ouvrage conserve le texte original tout en l’accompagnant d’illustrations contemporaines signées Jul (Lucky Luke, Silex and the City). Loin des contes classiques, cette adaptation plonge Belle dans un univers moderne : baskets aux pieds, téléphone à la main, elle prend des selfies avec la Bête et lit aussi bien des classiques que des ouvrages sur le rappeur Dr. Dre.

Son père, marchand ruiné, est contrôlé par la douane après la réception de marchandises contrefaites en provenance d’Algérie. Ses sœurs, caricatures de la société de consommation, affichent des looks griffés « Chacal numéro 5 » et « Moche & Gabbana », tandis que leurs prétendants les ignorent en les bloquant sur les réseaux sociaux. Quant au miroir magique, il est remplacé par une tablette numérique permettant à Belle de communiquer avec son père via Zoom.

Certaines scènes ont particulièrement attiré l’attention : on y voit le père de Belle, bouteille de vin en main, chantant Les Lacs du Connemara, ou encore Belle dégustant de la pâte à tartiner « El Mordjene ».

« Pas adaptée » : l’Éducation nationale justifie son choix

Interrogée sur Europe 1, Elisabeth Borne a expliqué que si Jul « a beaucoup de talent et manie l’ironie et le second degré », ces éléments nécessitent un accompagnement pédagogique pour être compris par des élèves de 10 ans. La directrice générale de l’enseignement scolaire, Caroline Pascal, a précisé que l’ouvrage abordait « des thématiques qui conviendraient davantage à des élèves de fin de collège ou de lycée », citant l’alcool, les réseaux sociaux et certaines réalités sociales.

Jul, lui, voit dans cette décision une forme de rejet idéologique : « La seule explication semble être la peur de voir un monde de princes et de princesses qui ressemble un peu plus à celui des écoliers d’aujourd’hui », affirme-t-il à l’AFP. Il réfute aussi les accusations sur une éventuelle maladresse culturelle : « Ces personnages ne sont ni arabes ni musulmans, ils ont juste la peau un peu plus mate que les princesses blondes habituelles. Belle ressemble à une Italienne, une Grecque, une Libanaise… à la France d’aujourd’hui. »

Un livre finalement écarté mais pas abandonné

Malgré l’annulation de sa distribution dans le cadre de Un livre pour les vacances, l’ouvrage sera tout de même publié. À la place, les élèves de CM2 recevront une autre œuvre classique : L’Odyssée.

« Peut-être que dans un cadre avec des professeurs, on peut expliquer ce second degré », concède Elisabeth Borne, qui suggère que le livre pourrait être exploité autrement. Jul, quant à lui, persiste : « On est tombé de notre chaise. Cette histoire montre une dérive délirante et préoccupante. »