Dans un rapport cinglant, les sénateurs critiquent vivement la version présentée par l’ancienne ministre déléguée à la Citoyenneté, qualifiant le dispositif lancé en 2021 de « fiasco ».
Un rapport accablant de 195 pages a été rendu par la commission d’enquête du Sénat sur le fonds Marianne, qualifiant le projet gouvernemental de « fiasco ». Lancé il y a deux mois, ce dispositif visant à lutter contre les discours séparatistes a été fortement critiqué suite aux révélations de France 2 et de l’hebdomadaire Marianne en mars dernier. Les sénateurs ont sévèrement critiqué la gestion politique de ce projet par Marlène Schiappa, ancienne ministre déléguée à la Citoyenneté et actuelle secrétaire d’État chargée de la Vie associative. « Le constat est sans appel sur ce que nous appelons la dérive d’un coup politique », a déclaré le sénateur Jean-François Husson (Les Républicains) lors d’une conférence de presse. Dans ce rapport, d’importants éléments sont mis en lumière et H24 vous en présente les points essentiels.
Dans l’urgence, un fonds Marianne lancé sans réflexion préalable
Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur le fonds Marianne met en évidence le premier reproche concernant la rapidité avec laquelle ce dispositif a été mis en œuvre, début 2021, suite à l’assassinat de Samuel Paty. Le préfet Christian Gravel, chargé de la mise en place du fonds, a souligné devant les sénateurs qu’il s’agissait d’une « commande politique, issue de la ministre concernée », qui imposait un calendrier accéléré. Marlène Schiappa avait quant à elle balayé mi-juin les préoccupations liées aux délais courts.
Cependant, selon le rapport des sénateurs, la rapidité de la conception de l’appel à projets et le manque de temps accordé aux porteurs de projets contraste avec la complexité du sujet. Les élus estiment qu’il aurait été indispensable de réfléchir aux conditions de mise en place d’un cadre d’action clair pour ces structures et de leur accorder le temps nécessaire pour présenter des projets complets et aboutis. Selon le rapport, la phase de lancement du fonds Marianne s’est déroulée « dans l’urgence ».
Sélection des projets du fonds Marianne : Un processus critiqué pour son manque de rigueur et de transparence
Dans leur rapport, les sénateurs émettent de vives critiques quant à la composition du jury chargé de sélectionner les projets bénéficiaires du fonds Marianne. Selon le rapport, l’absence de personnalité qualifiée indépendante de l’administration et du cabinet ministériel chargé du dossier est fortement critiquable. Les conditions n’étaient pas réunies pour garantir la qualité des décisions et leur impartialité.
Ces lacunes, combinées à l’absence de critères objectifs préalables pour évaluer les candidatures à l’appel à projets, renforcent le sentiment d’un manque de professionnalisme qui se dégage de ce dossier. En résumé, le processus de sélection des projets a été qualifié de « bâclé, opaque et fragmenté » par les sénateurs, soulignant ainsi ses nombreuses lacunes.
Implication notable en faveur de Mohamed Sifaoui : Les sénateurs pointent un « rôle actif »
Le rôle de l’entourage de Marlène Schiappa dans l’association de Mohamed Sifaoui fait débat. L’ancien journaliste, qui occupait un poste de direction au sein de l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), a reçu une dotation de 355 000 euros, malgré un dossier jugé très faible. Les sénateurs rappellent que Mohamed Sifaoui a eu « au moins trois rendez-vous entre mars et avril 2021 » avec le cabinet de la secrétaire d’État.
Selon le rapport des sénateurs, Mohamed Sifaoui « a été activement encouragé par le cabinet » à soumettre son projet. Marlène Schiappa a rejeté cette affirmation en précisant que « encourager quelqu’un à déposer un dossier ne signifie pas qu’on va le soutenir ». Cependant, le sénateur Jean-François Husson souligne dans son rapport que l’autorité politique a joué un « rôle actif » dans le traitement de la demande de l’USEPPM.
Ingérence politique contre SOS Racisme : Les sénateurs dénoncent un « fait du prince »
Dans leur rapport, les sénateurs critiquent vivement une procédure où « le politique a dépassé son rôle ». Un épisode en particulier illustre leur constat : Marlène Schiappa s’est vu reprocher d’avoir personnellement intervenu, fin mai 2021, pour annuler une subvention de 100 000 euros destinée à l’association SOS Racisme.
Lors de son audition, la secrétaire d’État s’est défendue en affirmant avoir simplement donné un « avis négatif ». Cependant, les sénateurs remettent en question sa version des faits. Selon eux, la décision de supprimer la dotation de 100 000 euros, prise lors d’un comité de sélection, a été annulée par un e-mail de son cabinet, sans justification. Les sénateurs déplorent qu’une telle substitution d’association se soit faite par un simple courrier électronique du cabinet, ce qui, selon eux, est loin d’être satisfaisant. Jean-François Husson considère que cela relève du « fait du prince ».
Lors de son audition, Marlène Schiappa avait justifié l’éviction de SOS Racisme en arguant que son projet ne présentait pas suffisamment d’activité sur les réseaux sociaux. Cependant, les sénateurs soulignent que le projet de l’association finalement sélectionnée, pour une subvention de 20 000 euros cette fois, ne repose en aucun cas sur des actions sur les réseaux sociaux. Ils affirment que la ministre n’a pas dit la vérité sur ce point. Jean-François Husson enfonce le clou en déclarant : « Je pense pouvoir dire que, au moins sur ce point, la ministre n’a pas dit la vérité ».
Recommandations pour prévenir les « interférences » à l’avenir
Dans le but d’améliorer le processus de subvention des associations, les sénateurs ont émis une série de recommandations visant à éviter les « interférences » nuisibles. Parmi ces recommandations figurent la proposition d’un délai de réponse de deux mois pour les appels à projets nationaux, l’établissement d’objectifs quantitatifs pour les projets des associations bénéficiaires de subventions, et la mise en place de versements échelonnés permettant d’appliquer des retenues financières en cas de non-conformité aux exigences fixées par l’État.
Les sénateurs ont également suggéré l’inclusion de « personnalités extérieures qualifiées » au sein du comité de programmation du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (FIPDR), afin de bénéficier de leur expertise dans les domaines de la prévention de la délinquance, de la lutte contre la radicalisation et des discours séparatistes. De plus, ils ont recommandé l’interdiction de toute ingérence du cabinet ministériel dans l’évaluation des dossiers de subvention.
Enfin, bien que l’avis des sénateurs soit consultatif, ils ont transmis au Parquet national financier (PNF) un complément d’information, comprenant les comptes-rendus de leurs auditions ainsi que plusieurs documents obtenus au cours de leur enquête. Le PNF avait ouvert une information judiciaire le 4 mai dernier concernant des suspicions de « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts ».
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