Abbé Pierre : le Vatican informé dès 1955, l’Église de France demande des comptes

À la suite de la publication du livre-enquête L’Abbé Pierre, la fabrique d’un saint (Allary Éditions), coécrit par les journalistes Laetitia Cherel et Marie-France Etchegoin, de nouvelles révélations accablantes émergent sur le fondateur d’Emmaüs, accusé depuis 2024 de violences sexuelles. Ce travail s’appuie sur des archives inédites du Vatican, notamment celles du Dicastère pour la Doctrine de la foi.

Le livre révèle que le Saint-Siège avait connaissance des agissements présumés de l’abbé Pierre dès l’automne 1955. Un document interne de dix pages, datant de mars 1957, retrace en détail les signalements, courriers d’alerte envoyés par des cardinaux étrangers, et décisions prises par le Saint-Office à cette époque. Il évoque notamment une demande officielle adressée à l’évêque de Versailles pour l’ouverture d’une procédure judiciaire, restée sans suite.

Parmi les éléments rapportés : un chanoine aurait alerté Rome sur des “faits immoraux” qui se seraient produits aux États-Unis, et des soupçons auraient également été émis concernant des affinités de l’abbé Pierre avec le communisme. Les archives soulignent aussi l’absence totale de mention des victimes : « Le mot victime n’apparaît jamais », relève Laetitia Cherel, qui évoque une époque où la peur du scandale primait sur toute reconnaissance des souffrances.

Depuis juillet 2024, 33 personnes se sont manifestées pour accuser l’abbé Pierre d’agressions sexuelles, dont certaines étaient mineures au moment des faits présumés, commis entre les années 1950 et 2000.

L’Église de France réclame des éclaircissements

Face à la gravité des éléments révélés, la Conférence des évêques de France (CEF) a réagi dans un communiqué publié ce jeudi 17 avril. Elle affirme vouloir « faire la lumière sur le comportement des évêques français en responsabilité à l’époque », notamment ceux siégeant au sein de l’ancienne ACA (Assemblée des cardinaux et archevêques), ancêtre de la CEF. L’Église de France souhaite également comprendre comment certaines informations ont pu disparaître des archives ecclésiales à partir des années 1970.

La CEF annonce son intention de se rapprocher du Vatican afin de clarifier ce que le Saint-Siège savait exactement, et à quel moment. Une démarche qui fait écho au vœu exprimé en 2024 par l’épiscopat français, resté jusqu’ici sans réponse.

Des propos antisémites également exhumés

L’enquête des deux journalistes ne s’arrête pas aux accusations de violences sexuelles. Elle revient aussi sur des propos tenus par l’abbé Pierre le 21 juillet 1944 à propos des Juifs, accusés d’« oisiveté » et d’« impitoyable dureté ». Ces déclarations font écho à la polémique suscitée dans les années 1990 par son soutien au philosophe révisionniste Roger Garaudy.